Mes yeux dans ta
nuit, projet Mont Blanc 2011
en vidéo avec ce lien http://www.dailymotion.com/video/xjqeu2_deux-non-voyants-au-sommet-du-mont-blanc_creation
Retrouvez sur cette page l'avancement du projet, de l'idée de départ à son aboutissement en juin 2011.
Le projet s’inscrit dans la philosophie de cette association qui milite depuis 1990 pour que la montagne soit accessible à tous.
Encadrés par des alpinistes bénévoles de ADRET (Didier Desmartin et Philippe Munier), des bénévoles du CAF d'Annemasse (Bernard Fuchs et Robert Darbouret) et des guides de haute montagne du bureau de Sallanches (Didier Nicard et Olivier Daligault), les deux handicapés de la vue, Thomas Clarion et Dominique Fuseau souhaitent, par leur engagement, valoriser cet objectif d’entraide et de solidarité.
En tant que président de l’association ADRET, j’ai l’honneur de vous présenter cette aventure hors du commun associant sport et lien social.
Notre but est de permettre à Thomas et à Dominique de réaliser une belle course dont ils rêvent depuis longtemps, en constituant autour d’eux une équipe d’hommes et de femmes aguerris à la haute montagne et prêts à donner de leur temps et de leur énergie tout au long des mois de mai et juin 2011.
Tous deux sont atteints d’une maladie dégénérative de la rétine qui les a conduit à la cécité. Réussir cette ascension du Mont Blanc sera aussi l’occasion de mettre un coup de projecteur sur l’association RETINA en plantant son emblème au sommet.
Ce projet a un coût estimé à 5000 euros que l’association ADRET seule n’est pas en mesure de financer.
Les communes d'Habère-Poche et de Bonneville, la Mutuelle APICIL, le Club Alpin Français (CR et CD) et le Conseil Général de la Haute Savoie se sont engagés à nos cotés pour rendre possible ce projet.
Thomas et Dominique tenant à participer, le reliquat servira à l'achat d'une barquette adaptée à la randonnée hivernale pour des handicapés moteurs.
A Habère-Poche, Philippe MUNIER président de ADRET 20 janvier 2011
VENDREDI 21 FEVRIER
Cette fois c'est parti ! Réunion de tous les protagonistes chez Thomas à Bonneville autour d'un dîner bien sympathique.
La présence d'Olivier permet d'affiner la prise de décision sur les dates et itinéraires. Ne reste qu'à trouver un remplaçant à Philippe Coudray qui va être papa et l'équipe sera au complet.
LUNDI 28 MARS
Voici le programme prévisionnel de la préparation du projet.
28 et 29 mai ; sortie en refuge à Trè Le Saix.
4 juin ; la Tournette.
11 juin ; traversée Helbronner.
18 et 19 juin ; le Tour, nuitée à Albert Premier.
25 juin ; le Buet.
1, 2 et 3 juillet ; première option Mont Blanc, reportée au we suivant si mauvais temps.
Préparation au mont-blanc : La tournette
Ce samedi 4 juin, pour notre première sortie de préparation, Olivier et Didier, les deux guides de Sallanches, ont pu se libérer. Pour eux, c'est une première de guider un non voyant en montagne et c'est bien qu'ils soient là parce que au moins, ils ont pris confiance dans la technique de guidage et sont rassurés par les compétences de Dominique. Venu en famille, Dominique s'est montré persévérant et courageux dans les difficultés du sentier souvent boueux et pentu. C'est son fils et un copain qui se sont chargés du petit compte rendu qui suit. Prochaine étape,crampons aux pieds pour la traversée Helbronner - Aiguille du Midi dimanche 12 !
La tournette est une montagne dominant le lac d’Annecy son altitude est d’environ 2500 mètres.
C’est en la montant qu’un non- voyant a commencé un entraînement intensif : l’objectif est le Mont-blanc via le refuge du Goûter. En vérité, 2 non-voyants font partie de l’aventure, avec leurs guides de haute-montagne, pour ce projet quelque peu ambitieux : Thomas Clarion et Dominique Fuseau (Tous les deux kinés à Bonneville). Au programme : Tournette, Buet, aiguille du Tour et traversée de la Mer de Glace.
Mais parlons de la sortie qui s’est déroulée le samedi 4 juin 2011 : la Tournette. Le parcours commence à 849 mètres depuis Thônes à 8h du matin, prêts pour 1500 mètres de dénivelé.
« La matinée fut rude car une bonne partie de la rando s’est déroulée sous les nuages et la bruine. L’après midi s’annonçait mal car une fois arrivés vers le refuge de la Tournette, les orages s’avançaient sur la vallée et le demi-tour fut déclaré … Ce qui ne fut pas une grosse perte puisque les passages techniques prévus pour mettre a l’épreuve le non-voyant Dominique Fuseau avait déjà été passés. Et finalement le retour se passa sous un soleil de plomb. La préparation sera compliquée pour tout le monde mais un moral de fer règne dans la petite équipée ».
Bonnot Emilien et Fuseau Julien
DIMANCHE 12 JUIN 2011: Traversée Helbronner-Aiguille du Midi
Lorsque, il y deux ans, j'ai évoqué pour la première fois avec Thomas l'idée de monter un projet pour aller au Mont Blanc. J'espérais contribuer à voir s'éclore tout ce que nous avons vécu ce dimanche. De l'effort, de l'émotion, du partage, de l'empathie, du respect, du plaisir et même un peu de peur dominée... Toutes ces valeurs humaines qui font la force des sorties en montagne. La gentillesse et l'attention d'Olivier et de Didier, la disponibilité de Robert, la présence d'Adeline et de Marie. La neige, le soleil, tout était en place pour une magnifique virée glaciaire.
Nous nous sommes retrouvés à Chamonix vers 8h00, un peu empêtrés dans nos consignes et nos préparatifs. Normal, il faut bien s'habituer à tout ce matériel inhabituel, piolets, crampons, harnais... On s'habille comment ?
Au guichet du téléphérique, Thomas et Dominique étaient presque attendus avec le tapis rouge : "ah c'est vous dont on parle dans le journal !"... Des stars !
Puis les choses se sont vite enchaînées, de bennes en cabines, nous voilà prêts à traverser le Glacier du Géant. Nous avons constitué deux cordées de quatre. Le guide de Haute montagne loin devant, puis le guide du non voyant, juste devant Dom et Tom pour assurer le guidage et, loin derrière, ces dames auxquelles nous confions le soin de récupérer les trois bonhommes qui tomberaient dans la crevasse traîtresse. Au début, le parcours est descendant, la présence de grosses crevasses ouvertes oblige à perdre 200 m de dénivelée. Puis on remonte une pente régulière jusqu'au niveau du Gros Rognon. Notre rythme est tranquille, il faut s'acclimater, le but n'est pas de faire la course et à ces altitudes, les efforts sont difficiles. Nous profitons de courtes pauses pour admirer le spectacle et le décrire aux non voyants. Nous suivons un moment la progression de deux alpinistes qui descendent à ski la face nord de la Tour Ronde. Sous les contreforts du Tacul, nous admirons l'élancement des flammes de pierre, où qu'on regarde, tout n'est que splendeurs. C'est une balade facile mais au milieu d'un environnement exceptionnel.
Sur le vaste replat qui mène en pente douce au col du Midi, nous cassons la croûte, histoire de récupérer un peu et de reposer les muscles avant d'attaquer la remontée de l'Aiguille. C'est qu'il y a quand même 600 m de dénivelée !
Pas après pas, tranquillement et sur un encordement sécurisant, nous attaquons les pentes raides et l'arête finale avec assurance et détermination.
C'est un peu dur pour tout le monde, les nerfs des guides sont mis à rude épreuve car l'erreur n'est pas permise et l'arrivée au sommet est à la fois une délivrance et une immense joie. Nous nous congratulons comme si nous venions de réussir une grande première. Et d'une certaine façon, s'en est une...
Quelque chose est née, au delà du plaisir de l'acte réussi, un sentiment de plénitude. Nous formons un groupe humain, cohérent et heureux... Et ça, c'est ce qui est le plus important pour moi.
J'éprouve ce même plaisir quand nous organisons les sorties joëlettes mensuelles en collaboration avec le CAF, je me réjouis d'ailleurs de retrouver Robert jeudi prochain.
ADRET, à défaut d'être connu pourra au moins s'enorgueillir d'avoir créé du lien entre nous tous...
Le we prochain, si les Dieux de la météo sont avec nous, cap sur le refuge Albert Premier et le glacier du Tour...L'aventure continue...
Philippe MUNIER le 13 juin 2011
Et voici résumé, avec les sensations et les mots de Dominique, quelques phrases clés tirées du texte qu'il a envoyé à Valérie pour l'article du Dauphiné.
"Démarrage rapide sur un terrain en légère descente pour une mise en confiance des équipages. Comme Thomas, je ne me suis pas senti en difficulté sur cette partie du parcours avec de la neige dure ... Une balade de santé ! "
" On marche des heures sans parler, ce qui chose rare pour moi ".
" Il y a des moments durs quand les pieds s'enfoncent sans prévenir, parfois ça s'enfonce jusqu'au genou, il faut ressortir la jambe, faire quelques pas avant de s'enfoncer à nouveau... On enlève une couche, il fait chaud !"
" A certains moments, on entends des gens parler, ça résonne dans les vastes combes comme sur une esplanade ou comme au bord de la mer... de glace bien sûr ..."
" Puis nous voici au pied de la dernière difficulté, l'arête de l'Aiguille du Midi. Encore des petits pas, de plus en plus petits, de plus en plus en travers, ça grimpe dur, droit dans la pente. Et ce souffle court, pas en asphyxie mais la sensation d'être fatigué, au bout de l'effort ".
"Dernières instructions de Didier, on pose les bâtons et on prend les piolets. Nous voilà sur le fil de l'arête. Encordement court, je me retrouve à cinquante centimètres de Philippe ".
" Il faut rester sur l'arête, concentré, Didier et Philippe m'encouragent et demandent à Marie de ne pas regarder en bas.
1500 m d'un coté, 500 de l'autre. Allez, encore 5 m ! J'entends le portillon métallique qui s'ouvre, ça y est, j'y suis arrivé, nous y sommes arrivés, et comme dans un rêve, on est sorti d'un milieu hostile et dangereux pour se retrouver en toute sécurité sur les plate formes de l'Aiguille du Midi. YES ! Les félicitations chaleureuses de nos accompagnateurs nous font grand plaisir ".
DIMANCHE 19 JUIN 2011 : aller-retour dans le Dérochoir !
Nous avions prévu de monter au refuge Albert Premier le samedi, de faire une petite nuit et d'enchaîner sur l'Aiguille du Tour. Mais les conditions météorologiques en ont décidé autrement. 70 centimètres de neige fraîche à 3500 ! Il a fallu s'adapter... Après moultes discussions, nous décidons de faire un aller-retour dans le Dérochoir, vous savez cette zone de la falaise des Fiz, écroulée en 1471 et en 1751qui domine l'alpage d'Ayères...(un écroulement plus récent en 1970 s'était produit à Praz-Coutant). Si vous êtes très curieux, le numéro 28 de juin 2009 de la revue " Nature et Patrimoine en Pays de Savoie" traite du sujet. Bref, nous avions décidé de tester notre équipage dans le caillou !
Au début, c'est plutôt cool, une large piste forestière qui serpente au milieu des pistes de ski et qui débouche en pente douce sur Ayères...Après, ça se corse ! Et finalement on se dit que c'est pas plus mal, parce que ça ressemble beaucoup aux difficultés que l'on rencontrera sur le Goûter. Il y en a pour tous les goûts : pierres en travers, blocs à enjamber, et, cerise sur le gâteau, belle grimpette avec câbles pour la dernière section. On met les mains, on s'équilibre comme on peut et finalement tout se passe à merveille.
Les deux cordées semblent rodées comme si elles avaient fonctionné depuis très longtemps. Dans un sens ça commence à être vrai, on s'entraîne depuis un mois ! Florent et Bernard jouent aux photographes, Robert est notre "Ange gardien" et Adeline veille d'un oeil sur son Thomas.
Si pour Thomas et Dominique, utiliser des câbles c'est du déjà vécu. Pour nous autres guides, c'est une première. Et une fois de plus nous sommes bluffés par l'engagement et l'assurance de nos amis qui osent s'aventurer sur la paroi du Dérochoir, totalement confiant en notre assurance...
Au sommet, un vol de niverolles vient saluer notre arrivée. Un peu plus tôt, c'est le gypaète qui était venu survoler les Fiz.
A la descente, le ciel encombré jusque là de nuages se déchire sur le Mont Blanc immaculé, nous ne résistons pas à l'envie de nous réunir pour une photo de "famille".
SAMEDI 25 JUIN : Le Buet
189 658 ! C'est le nombre de cailloux qui jonchent le sentier, de Vallorcine au col de Salenton ! C'est Dominique qui me l'a dit, il les a compté.
53 ! C'est le nombre de blagues, de contrepèteries et de déconnades de Robert ! C'est Thomas qui me l'a dit, il les collectionne...
1800 ! C'est le dénivelé pour le Buet depuis Vallorcine. Un dénivelé qui, d'après un topo trouvé en cours de route serait l'apanage de ce sommet "périlleux", "extrêmement difficile", "aboutissement d'une saison de randonnée", bref, un sommet impossible à faire pour un aveugle... Alors deux d'un coup !!! En plus complètement déjantés...
1 ! C'est le nombre de pied disponible pour Didier, qui a tout de même fait 800 m de descente avec un pied nu ! Quand je vous dis que c'était une équipée de sauvages...
6 ! C'est le nombre de jours qui nous séparent de notre grimpée à Tête Rousse.
13 ! Record absolu de durée sur le Buet pour Robert ! Ce n’est pas vrai, un jour où il s'était perdu vers le Cheval Blanc de Virginie, il était resté deux jours... Mais chut, il ne souhaite pas que ça se sache.
Tout ça pour vous dire qu'on s'est bien marré au Buet. Bon, OK, c'était long... Mais c'était important pour tous d'aller en haut, un défi et une assurance pour le Mont Blanc.
Ce qui est certain, c'est qu'on ne regarde plus de la même manière la montagne et les sentiers quand on randonne avec des personnes différentes. Là où nos yeux permettent d'esquiver tous les obstacles, c'est notre parole qui vient guider Thomas et Dominique sur les sentiers parfois très compliqués. Un autre rapport au temps s'installe, nous ne sommes plus deux, un aveugle et son guide mais un seul et même assemblage complexe de jambes, de mots et d'émotions.
Ce que j'admire chez Thomas et Dominique, outre leur courage, leur détermination et leur abnégation, c'est leur sens de l'humour et de la dérision, on rit de les entendre se moquer d'eux même, quand l'un se mouille en traversant une rivière ou que l'autre fait un vol plané sur un névé. Et quelle poilante au sommet quand on a fait la photo pour RETINA !
La journée avait commencé tôt puisqu'on s'était donné rendez-vous à Bonneville à 5h00 du matin. En une petite heure, nous étions déjà à pied d'œuvre à Vallorcine. Au début, une piste forestière qui mène à la cascade permet de commencer la balade tranquillement. Puis le sentier se resserre mais reste débonnaire jusqu'au refuge de la Pierre à Bérard. Pendant tout ce temps, il longe le torrent plus ou moins près. Parfois, il rugit si fort qu'on ne s'entend pas parler. Le paysage est magnifique et le soleil levant sur les Aiguilles Rouges habille la montagne de teintes orangées. Un petit café est le bienvenu au refuge. Nous sommes à 1900 m, nous avons déjà fait 600 m de dénivelé, il en reste 1200 ! C'est maintenant que les difficultés vont commencer.
A petits pas, en appliquant à la lettre les recommandations d'Olivier et de Didier (Dominique avait tout noté sur un petit carnet..."Olivier a dit que ....", des histoires de centre de gravité, de respiration, de pieds en travers...), nous avons avalé les difficultés sans...............difficulté. Des vrais pros (on a vérifié sur le topo, on est des vrais pros).
Non, sans rire, c'était quand même raidos et surtout très caillouteux. Tout s'arrangea à partir du col de Salenton parce que le terrain devient schisteux à cette altitude et le sentier est un vrai billard. Un billard couché sous l'Arête de la Mortine !
Arrivé au sommet sous les hourras de la foule (la foule c'est Robert, Virginie, Antoine et Adeline), nous profitons du panorama extraordinaire qu'offre ce sommet du Buet à 3098 m d'altitude. Un Mont Blanc Des Dames bien mérité... Mince, il faut redescendre !!! Je remarque une flore exceptionnelle dans ce paysage caillouteux, silènes, androsaces, saxifrages... Il faudra que je revienne botaniser par là. En ce qui concerne notre retour, c'est pas vraiment une galère mais presque; surtout sur la fin, avec cette impression qu'on y arrivera pas avant la nuit. Il est 20h00 lorsque nous arrivons aux voitures, heureusement, il y a des épisodes rigolos sur la neige, la rencontre avec les bouquetins...Mais au fond des cœurs et des pieds, cette fois c'est sûr, on est prêt. D'ailleurs, dès le Col des Montets, le Grand Blanc nous tendait les bras...
VENDREDI premier à DIMANCHE trois JUILLET :
ON A RÉUSSI L'INTÉGRALE !!!!!!!!!!!!!
A un moment, on se demandait si c'était vraiment judicieux ce titre de projet "Mes yeux dans ta nuit ", aujourd'hui je ne doute plus, c'était vraiment nos yeux dans la nuit de nos deux amis, nos yeux pour les guider dans la lumière magique du lever de soleil sur le Mont Blanc, nos yeux dans leurs pas pour les guider dans l'Enfer Blanc du Paradis. On y est arrivé, tous ensemble, solidaires et pugnaces...Cerise sur le gâteau, le hasard de la météo nous a amené à faire un choix d'itinéraire osé, monter par le Goûter et redescendre par les Trois Monts...De la folie à l'état pure mais qui donne à l'aventure le brin d'exploit qu'on n'attendait pas.
Nous nous étions donné rendez-vous sur le parking de la gare du Fayet pour prendre le train du Mont Blanc de 13h30. La première surprise de l'expédition fut de devoir descendre à Bellevue, à 1700 m d'altitude, au lieu des 2300 du Nid d'Aigle, autrement dit, un dénivelé de 1300 m pour rejoindre le refuge de Tête Rousse par la Cabane des Rognes. Le sentier est en partie reprofilé mais en partie seulement car dans les derniers lacets, la pierraille et les névés rendent l'accès plutôt difficile. Une bande d'énormes bouquetins est installé dans ces névés et nous observent l'air de dire "qu'est-ce qu'ils font là ces Monchus ? ". Mine de rien ce n'est pas si facile cette liaison et nous arrivons à Tête Rousse pour le deuxième service. (Manu et Quentin, les deux journalistes de TV8 Mont Blanc nous rejoignent peu avant l'arrivée au refuge, cette fois nous sommes vraiment au complet).
Très vite, le bruit enfle qu'il y a de mauvaises prévisions météo pour le lendemain, et les choses se confirment, 80 kilomètres heure de vent froid, lenticulaire (l'Ane) sur le sommet... Il faut prendre des décisions. Heureusement, nous avons des places réservées au Goûter, nous partirons vers 8h00 samedi et si la tendance se confirme au beau dimanche, on commence très tôt et on rentre par les Trois Monts. Ainsi soit-il !
Samedi donc, vers 8h00, nous attaquons l'Aiguille du Goûter sans pression, il est déjà tard pour franchir le Grand Couloir qui mitraille à tout va. Nous passons entre deux rafales, (nous apprendrons plus tard qu'un alpiniste n'a pas eu notre chance, touché à la tête par une pierre, il a du être hélitreuillé), avant de quitter les crampons pour trois heures d'ascension laborieuse dans le dédale de pierres de cette face en équilibre précaire. Ce qui demande d'ordinaire deux heures de grimpe assez facile s'avère extrêmement coûteux en énergie pour Thomas et Dominique qui doivent souvent chercher les prises à tâtons...
Finalement, c'était tellement épuisant de guider et d'être guidé dans ce secteur que tout le monde est bien content de se reposer au refuge du Goûter qui, au fil des heures, se remplit comme un œuf...On squatte un pieu duquel on se fait virer par son locataire légitime pour un autre qui s'avère rapidement réservé... Au fil des heures, la guerre des nerfs s'installe...Heureusement que les guides nous cèdent un moment leur place dans l'annexe pour anticiper sur la toute petite nuit qui nous attend. Après un frugal repas dans une chaleur et un brouhaha indescriptible où dominent l'italien, le slovaque et l'anglais, nous tentons de "dormir" avant le réveil prévu à 1h30.
Inutile de dire que la nuit fut effectivement courte, ponctuée de pets et de ronflements, le tout dans une atmosphère surchauffée, le réveil comme une délivrance nous jeta tous dans la nuit ! Quelle ambiance ! Après le petit déjeuner pris à la va vite, c'était à savoir lequel arriverait à quitter le premier les bouchons de l'étroit accès à l'arête de neige. Pour le coup, gérer nos affaires et celles de nos amis aveugles ne fut pas chose aisée...
2h00, ça y est, on est parti...Toutes les vallées sont illuminées, même Lyon scintille à l'ouest. Devant nous, les frontales des cordées qui nous précèdent forment un ruban de lucioles en réponse aux myriades d'étoiles... Il fait froid mais le vent n'est pas trop fort.
La pente est forte mais régulière, les 4300 m du Dôme du Goûter sont à nous puis Vallot où nous nous posons quelques instants.
L'aube pointe à l'est, les premières bosses se découpent dans le jour naissant, c'est maintenant que les choses sérieuses commencent. Dominique est interviewé "à chaud", en fait ça caille parce que le vent s'est mis à souffler fort et il ne nous lâchera plus jusqu'au sommet ! Et commence l'enchaînement des bosses... D'en bas ça paraît pas très pentu. En fait les raidillons sont très marqués et il n'y a pas beaucoup de place pour mettre les pieds. A certains endroits, le "gaz" du versant italien est tel que je ne peux que faire le vide dans ma tête et me concentrer sur les pieds de Dominique, veiller sur lui comme sur un tout petit enfant qui ferait ses premiers pas, ça a un coté ridicule parce qu'en fait l'assurance de nos aveugles est incroyable. N'empêche qu'au bout du compte, c'est épuisant psychiquement et l'arrivée au sommet, sans trop de fatigue physique, est une libération autant qu'une joie. On s'embrasse, on se congratule... C'est chouette ! Et en plus dans un temps tout à fait honorable de moins de quatre heures, comme n'importe quelle cordée un peu entraînée. Même la météo s'est donnée un temps de repos, il n'y a presque plus de vent.
C'est le moment de déployer notre oriflamme RETINA, c'est moins pour donner du sens à cette aventure que par conviction. Oui, aujourd'hui deux aveugles sont sur le toit de l'Europe, tout comme Mr Drouet il y a quelques jours. Oui, les gens différents, les handicapés, les petits, les noirs, les blancs, les gros, les pas comme tout le monde peuvent faire du sport, vivre, aimer...Ensemble, on peut tout réussir, il suffit d'y croire et de se donner les moyens d'aller jusqu'au bout de ses rêves.
En attendant de rêver, il a bien fallu repartir, et rentrer par les Trois Monts, ça mes amis, c'était aussi un sacré challenge ! Certes, il n'y a plus les pierres et la litanie infernale des " attention caillou, lève ton pied gauche, avance ta main droite de trente centimètres..." mais il y a les crevasses, le Mur de la Côte, le couloir de 60 m du Col Maudit à désescalader, le dédale des séracs du Tacul, à nouveau l'Arête de l'Aiguille... Mais bon, quand on est fort et que les Dieux veillent sur nous ! (Les Dieux ce sont deux guides d'exception, Didier et Olivier). L'aventure se termine en beauté.
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Enfin, nous l'espérons tous. ADRET fêtait ses vingt ans avec ce projet et il y a encore tant à faire pour l'intégration des personnes handicapées, l'éducation à l'environnement et tout ce que vous aurez envie de partager avec nous si vous nous rejoignez..D'ailleurs, le reliquat du budget va être utilisé pour acheter une luge nordique (fauteuil permettant à un paraplégique de pratiquer le ski de fond), à nous les belles balades !
Philippe
Retrouvez maintenant les ressentis des équipiers.
Commençons par Didier Nicard, le guide de la cordée de Thomas et Didier Desmartin.
La montagne est toujours un lieu de fortes émotions et de partage et chaque sortie de ce projet m'a apporté quelque chose en plus à chaque fois. Une communion, une leçon de vie...
Pour décrire ce qui m'est passé par la tête dimanche, quand, depuis l'arête on voyait le sommet du Mont Blanc s'approcher et que je sentais Thomas dans mes talons, la main sur mon sac, je n'ai pas trouvé de mots, ce sont mes yeux qui se sont le plus exprimés à travers de grosses larmes d'émotion.
J'ai maintenant un souhait, ne pas stopper là cette si belle aventure humaine.
Thomas Clarion a souhaité raconter toute son ascension, lisons-le...
La date est fixée depuis quelques mois déjà, et nous nous réjouissons au fur et à mesure de l'écoute des bulletins météo qui annoncent un beau premier week-end de juillet.
C'est donc vendredi midi que l'aventure commence, sur le parking du Tramway du Mont Blanc.
Derniers petits préparatifs et nous sautons dans l'emblématique wagon.
Descente à Bellevue, tout près du col de Voza car des travaux sont en cours sur la dernière portion.
Sans perdre de temps, nous nous acheminons vers le refuge de Tête Rousse .
En croisant quelques visages cernés d'alpinistes, je prends alors encore un peu plus conscience de la longueur de cette ascension.
Le passage par les Rognes nous fait emprunter un chemin escarpé dominant le versant des Houches, avant de basculer dans la vallée du glacier de Tête Rousse.
L'après midi avance et déjà j'ai l'impression d'être dans une machine à voyager dans le temps ; en évoluant dans le dernier pierrier, la fraîcheur de l'air m'évoque une fin de journée d'automne.
Accroché au sac à dos de Didier Desmartin je passe de blocs en blocs en suivant ses instructions pertinentes. Cette description du terrain qui m'est donné à tous les instants me permet de marcher à l'économie et à prendre confiance dans mes pieds.
En passant la porte du Refuge, je me dis que déjà une étape est franchie.
Autour d'une chaleureuse tablé nous envisageons la suite du programme.
Le dernier bulletin météo n'est pas aussi bon que prévu, et annonce un fort vent en altitude.
Nous avons des places pour le refuge du Goûter pour le lendemain. Nous prenons donc la décision de retarder notre ascension vers le Géant Blanc.
C'est l'occasion de bien recharger les batteries en dormant jusqu'à 7 h !
Crampons aux pieds, nous débutons l'ascension de l'aiguille du Goûter, petit sprint dans le couloir lors de sa traversée !
Le terrain est sec et nous permet de déchausser nos "crabes ".
Je suis toujours Didier qui me précède dans ces passages d'escalade où ses consignes sont précieuses !
Arrivant au refuge, nous apercevons le "lenticulaire" étranglant le sommet. C'est le signe qu'il y a du vent, et les cordées frigorifiées que nous avons eu l'occasion de croiser sont là pour nous le confirmer.
Ce ne sera donc pas pour aujourd'hui....
L'après midi passe vite : sieste et concentration sont de mise.
Je me réjouis en apprenant que la météo sera plus clémente pour la journée de Dimanche et surtout que nous pouvons envisager de redescendre par les trois Monts et ainsi faire une traversée.
Ceci me rassure car pour nous autres non voyants, il est plus difficile de descendre que de monter.
La confiance remonte d'autant plus que l'acclimatation effectuée me fait oublier tout mal de l'altitude.
Le souper se fait dans une salle chauffée par la chaleur humaine et la promiscuité, et la courte nuit se passe de la même façon !
Branle bas de combat dès 1h30 du matin, tout le monde se presse pour déjeuner et s'emparer de son matériel.
Nous retrouvons nos deux journalistes de TV8MB qui malgré l'absence de réservation dans les refuges se sont joint à l'aventure et ont donc dormi sous l'une des tables du réfectoire.
Bravo les gars !
Dans la confusion du départ, tout le monde se cherche et s'interpelle, je me dis qu'à ce moment il n'y a bien que Dominique et moi qui ne sommes pas perturbés par l'absence de lumière.
Notre cordé s'élance sur le Dôme du Goûter d'un bon pas, Didier Nicard ouvrant la route, et Didier Desmartin placé entre nous deux en téléphérique pouvant ainsi ajuster aisément la distance nous séparant.
La fraîcheur nocturne m'enveloppe ainsi que l'émotion en pensant à cet instant à ma famille qui m'a fait découvrir mes premiers souvenirs de montagne.
Déjà Vallot, nous entrons dans cet abri de fortune pour attendre les deux autres cordées à l'abri du vent. Une barre de céréale, une petite couche en plus et c'est reparti.
Je suis toujours aussi rassuré de me sentir en pleine possession de mes moyens, je sais qu'il va falloir continuer de se concentrer sur chacun de ses pas sur l'Arête des Bosses !
Nous serrons l'encordement, Didier repasse derrière moi : " piolet main gauche, un pas à droite, les pointes vers la gauche " sont les indications qui me portent.
Les premières lueurs apparaissent, on me le dit et cela me réchauffe le coeur, car pour le moment le vent nous souffle dans le visage.
Les derniers passages techniques dépassés, l'émotion nous gagne, boule au ventre, larmes aux yeux en apprenant qu'il ne nous reste plus que quelques pas avant de se retrouver sur le toit de l'Europe.
Embrassades et félicitations à tous les membres du groupe !
J'ai même le droit à une petite interview qui me laisse exprimer toute ma reconnaissance à ce projet mené par Philippe Munier.
Je tente d'expliquer que j'ai grandi en face de ce sommet alors que j'étais voyant, et que aujourd'hui l'immense travail des bénévoles des associations qui soutiennent le projet me permet de vivre ce sommet par le toucher et les sensations.
Comme le dit Dominique, le handicap nous oblige à être accompagné, il peut à première vue s'agir d'une contrainte, mais au final, des liens humains forts se tissent entre tous les participants, et c'est ça qui reste.
Avec Dominique, nous déplions la banderole de RETINA FRANCE qui soutient la recherche en ophtalmologie.
Cap vers Chamonix !
Nous nous engageons dans les pentes de neige du mur de la Côte avant de gagner la rimaye du mont Maudit.
Un joli Tohu Bohu où les cordées s'emmêlent les unes les autres !
Encore quelques pas à la descente pour rejoindre un endroit sûr qui me permet d'ôter quelques épaisseurs, car le soleil inonde les glaciers qui nous environnent.
Petits pas légers sur les ponts de neige, passages sous les séracs et nous voilà au col du Midi.
Dernière pose avant de remonter l'étroite arrête de l'aiguille du Midi !
Pas le droit à l'erreur, elle me semble encore plus fine que il y a un mois, alors que nous faisions nos premiers pas en crampons lors de la traversée de la Vallée Blanche.
Nous nous retrouvons tous sur la terrasse du téléphérique afin de contempler le panorama et de nous faire décrire tout le trajet parcouru dans la journée!
Nous bouclons la boucle en regagnant par le train la gare de St Gervais d'où nous sommes partis depuis une éternité me semble t-il !
Après avoir ressenti l'automne lors de mon arrivée à Tête Rousse, , j'ai connu l'hiver au sommet, puis le printemps sur le col du midi !
Retour à l'été en enfilant les sandalettes restées dans le coffre !
Que de magnifiques souvenirs avons nous créé ensemble.
Je crois que le destin était vraiment avec nous ce week-end magique car à l'heure où j'écris ces quelques lignes, le fameux lenticulaire recouvre à nouveau le massif !
Voici ce que ressent Florent Boivin, membre de la cordée encadrée par Robert Darbouret
Je me vois encore arriver sur cette arête de l’Aiguille du Midi où le vide que l’on ose regarder sur nos côtés nous fait trembler les jambes et nous oblige à nous faire une bulle de sorte à ne pas défaillir et à seulement se concentrer sur cette corde qui doit rester tendue et sur les pieds de la personne qui nous précède : ne pas tomber !!!
J’entends encore Philippe nous dire à l’arrivée: « ce projet, c’était de la folie ! ». Et il est vrai qu’il fallait une dose d’insouciance pour voir cet étendard flotter sur le toit de l’Europe : « RETINA ».
Repousser les limites. Non pas celles du sport narcissique mais les véritables valeurs qu’il peut apporter : intégration. Intégration des gamins turbulents mais aussi de la notion de handicap. Nous l’avons fait ! Nous avons pu par la volonté et l’organisation de certains emmener toute notre équipe au sommet du Mont Blanc et commencer à sensibiliser l’opinion publique sur le problème rétinien dont il est question.
Derrière cet aspect, comprenons ce qui s’est passé : nous avons eu l’esprit des pionniers : essayer ce qui ne l’avait pas encore été (ou presque) et montrer que malgré les difficultés d’un groupe de personnes désavantagées, il est possible par la volonté de fer de personnes non-voyantes et par l’aide de valides de réaliser ce que les sceptiques laissent d’avance tomber : Dominique et Thomas ont pu gravir le sommet du Mont Blanc.
L’émotion a été grande pour moi quand j’ai vu déployer ce signal visuel. Je comprends maintenant le sens du mot « symbole ». Nous aurions pu simplement aller place Belcourt et faire de même. Cela serait sans doute passé inaperçu. Il fallait bel et bien quelque chose de fort. L’image est ainsi forte et les larmes ne se commandent pas :ainsi en est-il de ma définition du mot symbole :une représentation qui vous émeut.
Ces moments passés ont été fort : non seulement la sensibilisation faite au sommet mais aussi l’arrivé finale : tout s’est bien passé ! Nous sommes sains et saufs !
Attendons maintenant de voir les retombées de cet évènement. J’aimerais que notre course puisse faire connaître les associations RETINA, ADRET et aussi faire progresser l’image du handicap dans la société française. Reconnaissons aux personnes handicapées le mérite qui leur revient : une véritable performance au même titre que les personnes valides avec des moyens différents.
J’espère revivre pareille expérience. Ce n’est qu’un début !
A suivre
On enchaîne avec Robert Darbouret, alpiniste bénévole du CAF d'Annemasse qui a encadré les deux accompagnants. En juin 2010, il avait déjà largement contribué à la réussite du projet Mont Blanc des élèves d'un lycée d'Annemasse.
Le projet "Mes Yeux dans ta nuit" a été très bien organisé. Avec un peu de recul, il était très ambitieux, et même un peu fou. Mais grâce au courage, à la volonté, à la détermination dont ont fait preuve à chaque sortie Dominique et Thomas, il a pu être réalisé et même dépassé. La traversée des Trois Monts Blancs est la cerise sur le gâteau après cette montée sur l'Arête des Bosses avec le vent et le froid. Toutes ces courses partagées ensemble ont été le moment de rencontres formidables et d'émotions partagées. Merci à la sympathie de chacun, au professionnalisme de nos guides. Merci à Dominique et Thomas de nous avoir fait confiance. Toutes ces journées partagées resteront des très grands et très forts souvenirs de ma vie de montagnard. C'est un grand plaisir que j'ai ressenti lors de ma participation. Je suis fier et heureux de m'y être investi, merci à tous, Robert.
C'est au tour de Didier Desmartin de s'y coller. Didier, professeur EPS, était le guide de Thomas, il est aussi un alpiniste de grande qualité.
Après quelques jours de repos, je me dis que l'on peut être fiers de nous, fiers d'avoir donné le meilleur de nous même pour cette belle aventure montagne et humaine. Merci à Florent pour les photos, à Manu et à Quentin pour leur reportage sur TV8 Mont Blanc.
Je retiendrai les pieds de Thomas en suspens au dessus de la trace étroite de l'Arête du Goûter, la belle émotion collective au sommet et les moments de vie dans les refuges...
A ton tour Dominique !
Ce qui me restera : le souvenir d'une équipe sympa, le plaisir de faire quelque chose de peu banal, sur des sentiers encore moins banals. Je pense à la traversée des groupes de bouquetins, les vires étroites, l'escalade dans les rochers du Goûter, houille houille houille ! Les genoux qui cognent dans les rochers...
L'ascension du Dôme du Goûter était relativement simple jusqu'à Vallot, le froid envahissant sur l'Arête des Bosses...Ce froid ! L'ennemi de l'effort... Je crois que je n'ai jamais eu aussi froid de ma vie ! Et ce vent tourbillonnant qui déstabilise et fait perdre tout repère, à cause de ça, les derniers mètres de dénivelé n'ont pas été très faciles. Enfin l'Arête finale ou le vent s'était calmé, et le fait de ne pas réaliser tout de suite, puis la joie d'être sur le toit de l'Europe, j'y suis !!!
A peine le temps de se réjouir, le froid impose de redescendre... Quelle descente ! Avec ces passages ou on ne s'arrête pas à cause des risques de chute de pierres ou de séracs. Elle fut longue, fatigante, surtout à cause du fait que je ne savais plus où poser mes pieds, retenu par Olivier et Philippe, je ressentais l'immensité des paysages. Il y eut encore l'initiation d'une descente en rappel dans le couloir du Maudit et le franchissement de sa rimaye et enfin la remontée à l'Aiguille du Midi... Finalement je crois que je suis plus à l'aise en montée qu'en descente.
Au final, j'ai trouvé cette aventure extraordinaire et je ne dis pas non pour en refaire une autre du même genre mais pas tout de suite, je dois d'abord soigner mon rhume du Mont Blanc...
En tant qu'organisateur, il me revient le devoir de clore momentanément ce récit. De tous ces mots, je retiendrai partage, amitié, montagne, professionnalisme...Je tiens à remercier Didier Nicard et Olivier Daligault, ces deux guides du bureau de Sallanches, qui ont mouillé la chemise et dont j'ai apprécié la rigueur. J'embrasse mon collègue et ami Didier Desmartin que j'ai plongé tout nu dans ce bain d'émotions, je crois que cette expérience nouvelle le marquera. Merci à toi Robert, qui a accepté de travailler dans l'ombre en assurant avec talent la sécurité d’Adeline et de Florent, tu as été pour nous tous un père et un ami. Je salue Bernard Fuchs pour son soutien et je sais combien, en tant qu’alpiniste chevronné, il a du ronger son frein et vibrer avec nous. En tant que représentant des instances régionale et départementale du CAF, Bernard a été d'un appui indispensable pour mener à bien ce projet. Je remercie l'APICIL, les communes d'Habère Poche et de Bonneville, le Conseil Général de la Haute Savoie, les instances locales et régionales du CAF.
Et puis surtout, merci à vous deux, Thomas et Dominique, de m'avoir fait confiance.
Arvi pa, Philippe MUNIER le 9 juillet 2011.
en vidéo avec ce lien http://www.dailymotion.com/video/xjqeu2_deux-non-voyants-au-sommet-du-mont-blanc_creation
Retrouvez sur cette page l'avancement du projet, de l'idée de départ à son aboutissement en juin 2011.
Le projet s’inscrit dans la philosophie de cette association qui milite depuis 1990 pour que la montagne soit accessible à tous.
Encadrés par des alpinistes bénévoles de ADRET (Didier Desmartin et Philippe Munier), des bénévoles du CAF d'Annemasse (Bernard Fuchs et Robert Darbouret) et des guides de haute montagne du bureau de Sallanches (Didier Nicard et Olivier Daligault), les deux handicapés de la vue, Thomas Clarion et Dominique Fuseau souhaitent, par leur engagement, valoriser cet objectif d’entraide et de solidarité.
En tant que président de l’association ADRET, j’ai l’honneur de vous présenter cette aventure hors du commun associant sport et lien social.
Notre but est de permettre à Thomas et à Dominique de réaliser une belle course dont ils rêvent depuis longtemps, en constituant autour d’eux une équipe d’hommes et de femmes aguerris à la haute montagne et prêts à donner de leur temps et de leur énergie tout au long des mois de mai et juin 2011.
Tous deux sont atteints d’une maladie dégénérative de la rétine qui les a conduit à la cécité. Réussir cette ascension du Mont Blanc sera aussi l’occasion de mettre un coup de projecteur sur l’association RETINA en plantant son emblème au sommet.
Ce projet a un coût estimé à 5000 euros que l’association ADRET seule n’est pas en mesure de financer.
Les communes d'Habère-Poche et de Bonneville, la Mutuelle APICIL, le Club Alpin Français (CR et CD) et le Conseil Général de la Haute Savoie se sont engagés à nos cotés pour rendre possible ce projet.
Thomas et Dominique tenant à participer, le reliquat servira à l'achat d'une barquette adaptée à la randonnée hivernale pour des handicapés moteurs.
A Habère-Poche, Philippe MUNIER président de ADRET 20 janvier 2011
VENDREDI 21 FEVRIER
Cette fois c'est parti ! Réunion de tous les protagonistes chez Thomas à Bonneville autour d'un dîner bien sympathique.
La présence d'Olivier permet d'affiner la prise de décision sur les dates et itinéraires. Ne reste qu'à trouver un remplaçant à Philippe Coudray qui va être papa et l'équipe sera au complet.
LUNDI 28 MARS
Voici le programme prévisionnel de la préparation du projet.
28 et 29 mai ; sortie en refuge à Trè Le Saix.
4 juin ; la Tournette.
11 juin ; traversée Helbronner.
18 et 19 juin ; le Tour, nuitée à Albert Premier.
25 juin ; le Buet.
1, 2 et 3 juillet ; première option Mont Blanc, reportée au we suivant si mauvais temps.
Préparation au mont-blanc : La tournette
Ce samedi 4 juin, pour notre première sortie de préparation, Olivier et Didier, les deux guides de Sallanches, ont pu se libérer. Pour eux, c'est une première de guider un non voyant en montagne et c'est bien qu'ils soient là parce que au moins, ils ont pris confiance dans la technique de guidage et sont rassurés par les compétences de Dominique. Venu en famille, Dominique s'est montré persévérant et courageux dans les difficultés du sentier souvent boueux et pentu. C'est son fils et un copain qui se sont chargés du petit compte rendu qui suit. Prochaine étape,crampons aux pieds pour la traversée Helbronner - Aiguille du Midi dimanche 12 !
La tournette est une montagne dominant le lac d’Annecy son altitude est d’environ 2500 mètres.
C’est en la montant qu’un non- voyant a commencé un entraînement intensif : l’objectif est le Mont-blanc via le refuge du Goûter. En vérité, 2 non-voyants font partie de l’aventure, avec leurs guides de haute-montagne, pour ce projet quelque peu ambitieux : Thomas Clarion et Dominique Fuseau (Tous les deux kinés à Bonneville). Au programme : Tournette, Buet, aiguille du Tour et traversée de la Mer de Glace.
Mais parlons de la sortie qui s’est déroulée le samedi 4 juin 2011 : la Tournette. Le parcours commence à 849 mètres depuis Thônes à 8h du matin, prêts pour 1500 mètres de dénivelé.
« La matinée fut rude car une bonne partie de la rando s’est déroulée sous les nuages et la bruine. L’après midi s’annonçait mal car une fois arrivés vers le refuge de la Tournette, les orages s’avançaient sur la vallée et le demi-tour fut déclaré … Ce qui ne fut pas une grosse perte puisque les passages techniques prévus pour mettre a l’épreuve le non-voyant Dominique Fuseau avait déjà été passés. Et finalement le retour se passa sous un soleil de plomb. La préparation sera compliquée pour tout le monde mais un moral de fer règne dans la petite équipée ».
Bonnot Emilien et Fuseau Julien
DIMANCHE 12 JUIN 2011: Traversée Helbronner-Aiguille du Midi
Lorsque, il y deux ans, j'ai évoqué pour la première fois avec Thomas l'idée de monter un projet pour aller au Mont Blanc. J'espérais contribuer à voir s'éclore tout ce que nous avons vécu ce dimanche. De l'effort, de l'émotion, du partage, de l'empathie, du respect, du plaisir et même un peu de peur dominée... Toutes ces valeurs humaines qui font la force des sorties en montagne. La gentillesse et l'attention d'Olivier et de Didier, la disponibilité de Robert, la présence d'Adeline et de Marie. La neige, le soleil, tout était en place pour une magnifique virée glaciaire.
Nous nous sommes retrouvés à Chamonix vers 8h00, un peu empêtrés dans nos consignes et nos préparatifs. Normal, il faut bien s'habituer à tout ce matériel inhabituel, piolets, crampons, harnais... On s'habille comment ?
Au guichet du téléphérique, Thomas et Dominique étaient presque attendus avec le tapis rouge : "ah c'est vous dont on parle dans le journal !"... Des stars !
Puis les choses se sont vite enchaînées, de bennes en cabines, nous voilà prêts à traverser le Glacier du Géant. Nous avons constitué deux cordées de quatre. Le guide de Haute montagne loin devant, puis le guide du non voyant, juste devant Dom et Tom pour assurer le guidage et, loin derrière, ces dames auxquelles nous confions le soin de récupérer les trois bonhommes qui tomberaient dans la crevasse traîtresse. Au début, le parcours est descendant, la présence de grosses crevasses ouvertes oblige à perdre 200 m de dénivelée. Puis on remonte une pente régulière jusqu'au niveau du Gros Rognon. Notre rythme est tranquille, il faut s'acclimater, le but n'est pas de faire la course et à ces altitudes, les efforts sont difficiles. Nous profitons de courtes pauses pour admirer le spectacle et le décrire aux non voyants. Nous suivons un moment la progression de deux alpinistes qui descendent à ski la face nord de la Tour Ronde. Sous les contreforts du Tacul, nous admirons l'élancement des flammes de pierre, où qu'on regarde, tout n'est que splendeurs. C'est une balade facile mais au milieu d'un environnement exceptionnel.
Sur le vaste replat qui mène en pente douce au col du Midi, nous cassons la croûte, histoire de récupérer un peu et de reposer les muscles avant d'attaquer la remontée de l'Aiguille. C'est qu'il y a quand même 600 m de dénivelée !
Pas après pas, tranquillement et sur un encordement sécurisant, nous attaquons les pentes raides et l'arête finale avec assurance et détermination.
C'est un peu dur pour tout le monde, les nerfs des guides sont mis à rude épreuve car l'erreur n'est pas permise et l'arrivée au sommet est à la fois une délivrance et une immense joie. Nous nous congratulons comme si nous venions de réussir une grande première. Et d'une certaine façon, s'en est une...
Quelque chose est née, au delà du plaisir de l'acte réussi, un sentiment de plénitude. Nous formons un groupe humain, cohérent et heureux... Et ça, c'est ce qui est le plus important pour moi.
J'éprouve ce même plaisir quand nous organisons les sorties joëlettes mensuelles en collaboration avec le CAF, je me réjouis d'ailleurs de retrouver Robert jeudi prochain.
ADRET, à défaut d'être connu pourra au moins s'enorgueillir d'avoir créé du lien entre nous tous...
Le we prochain, si les Dieux de la météo sont avec nous, cap sur le refuge Albert Premier et le glacier du Tour...L'aventure continue...
Philippe MUNIER le 13 juin 2011
Et voici résumé, avec les sensations et les mots de Dominique, quelques phrases clés tirées du texte qu'il a envoyé à Valérie pour l'article du Dauphiné.
"Démarrage rapide sur un terrain en légère descente pour une mise en confiance des équipages. Comme Thomas, je ne me suis pas senti en difficulté sur cette partie du parcours avec de la neige dure ... Une balade de santé ! "
" On marche des heures sans parler, ce qui chose rare pour moi ".
" Il y a des moments durs quand les pieds s'enfoncent sans prévenir, parfois ça s'enfonce jusqu'au genou, il faut ressortir la jambe, faire quelques pas avant de s'enfoncer à nouveau... On enlève une couche, il fait chaud !"
" A certains moments, on entends des gens parler, ça résonne dans les vastes combes comme sur une esplanade ou comme au bord de la mer... de glace bien sûr ..."
" Puis nous voici au pied de la dernière difficulté, l'arête de l'Aiguille du Midi. Encore des petits pas, de plus en plus petits, de plus en plus en travers, ça grimpe dur, droit dans la pente. Et ce souffle court, pas en asphyxie mais la sensation d'être fatigué, au bout de l'effort ".
"Dernières instructions de Didier, on pose les bâtons et on prend les piolets. Nous voilà sur le fil de l'arête. Encordement court, je me retrouve à cinquante centimètres de Philippe ".
" Il faut rester sur l'arête, concentré, Didier et Philippe m'encouragent et demandent à Marie de ne pas regarder en bas.
1500 m d'un coté, 500 de l'autre. Allez, encore 5 m ! J'entends le portillon métallique qui s'ouvre, ça y est, j'y suis arrivé, nous y sommes arrivés, et comme dans un rêve, on est sorti d'un milieu hostile et dangereux pour se retrouver en toute sécurité sur les plate formes de l'Aiguille du Midi. YES ! Les félicitations chaleureuses de nos accompagnateurs nous font grand plaisir ".
DIMANCHE 19 JUIN 2011 : aller-retour dans le Dérochoir !
Nous avions prévu de monter au refuge Albert Premier le samedi, de faire une petite nuit et d'enchaîner sur l'Aiguille du Tour. Mais les conditions météorologiques en ont décidé autrement. 70 centimètres de neige fraîche à 3500 ! Il a fallu s'adapter... Après moultes discussions, nous décidons de faire un aller-retour dans le Dérochoir, vous savez cette zone de la falaise des Fiz, écroulée en 1471 et en 1751qui domine l'alpage d'Ayères...(un écroulement plus récent en 1970 s'était produit à Praz-Coutant). Si vous êtes très curieux, le numéro 28 de juin 2009 de la revue " Nature et Patrimoine en Pays de Savoie" traite du sujet. Bref, nous avions décidé de tester notre équipage dans le caillou !
Au début, c'est plutôt cool, une large piste forestière qui serpente au milieu des pistes de ski et qui débouche en pente douce sur Ayères...Après, ça se corse ! Et finalement on se dit que c'est pas plus mal, parce que ça ressemble beaucoup aux difficultés que l'on rencontrera sur le Goûter. Il y en a pour tous les goûts : pierres en travers, blocs à enjamber, et, cerise sur le gâteau, belle grimpette avec câbles pour la dernière section. On met les mains, on s'équilibre comme on peut et finalement tout se passe à merveille.
Les deux cordées semblent rodées comme si elles avaient fonctionné depuis très longtemps. Dans un sens ça commence à être vrai, on s'entraîne depuis un mois ! Florent et Bernard jouent aux photographes, Robert est notre "Ange gardien" et Adeline veille d'un oeil sur son Thomas.
Si pour Thomas et Dominique, utiliser des câbles c'est du déjà vécu. Pour nous autres guides, c'est une première. Et une fois de plus nous sommes bluffés par l'engagement et l'assurance de nos amis qui osent s'aventurer sur la paroi du Dérochoir, totalement confiant en notre assurance...
Au sommet, un vol de niverolles vient saluer notre arrivée. Un peu plus tôt, c'est le gypaète qui était venu survoler les Fiz.
A la descente, le ciel encombré jusque là de nuages se déchire sur le Mont Blanc immaculé, nous ne résistons pas à l'envie de nous réunir pour une photo de "famille".
SAMEDI 25 JUIN : Le Buet
189 658 ! C'est le nombre de cailloux qui jonchent le sentier, de Vallorcine au col de Salenton ! C'est Dominique qui me l'a dit, il les a compté.
53 ! C'est le nombre de blagues, de contrepèteries et de déconnades de Robert ! C'est Thomas qui me l'a dit, il les collectionne...
1800 ! C'est le dénivelé pour le Buet depuis Vallorcine. Un dénivelé qui, d'après un topo trouvé en cours de route serait l'apanage de ce sommet "périlleux", "extrêmement difficile", "aboutissement d'une saison de randonnée", bref, un sommet impossible à faire pour un aveugle... Alors deux d'un coup !!! En plus complètement déjantés...
1 ! C'est le nombre de pied disponible pour Didier, qui a tout de même fait 800 m de descente avec un pied nu ! Quand je vous dis que c'était une équipée de sauvages...
6 ! C'est le nombre de jours qui nous séparent de notre grimpée à Tête Rousse.
13 ! Record absolu de durée sur le Buet pour Robert ! Ce n’est pas vrai, un jour où il s'était perdu vers le Cheval Blanc de Virginie, il était resté deux jours... Mais chut, il ne souhaite pas que ça se sache.
Tout ça pour vous dire qu'on s'est bien marré au Buet. Bon, OK, c'était long... Mais c'était important pour tous d'aller en haut, un défi et une assurance pour le Mont Blanc.
Ce qui est certain, c'est qu'on ne regarde plus de la même manière la montagne et les sentiers quand on randonne avec des personnes différentes. Là où nos yeux permettent d'esquiver tous les obstacles, c'est notre parole qui vient guider Thomas et Dominique sur les sentiers parfois très compliqués. Un autre rapport au temps s'installe, nous ne sommes plus deux, un aveugle et son guide mais un seul et même assemblage complexe de jambes, de mots et d'émotions.
Ce que j'admire chez Thomas et Dominique, outre leur courage, leur détermination et leur abnégation, c'est leur sens de l'humour et de la dérision, on rit de les entendre se moquer d'eux même, quand l'un se mouille en traversant une rivière ou que l'autre fait un vol plané sur un névé. Et quelle poilante au sommet quand on a fait la photo pour RETINA !
La journée avait commencé tôt puisqu'on s'était donné rendez-vous à Bonneville à 5h00 du matin. En une petite heure, nous étions déjà à pied d'œuvre à Vallorcine. Au début, une piste forestière qui mène à la cascade permet de commencer la balade tranquillement. Puis le sentier se resserre mais reste débonnaire jusqu'au refuge de la Pierre à Bérard. Pendant tout ce temps, il longe le torrent plus ou moins près. Parfois, il rugit si fort qu'on ne s'entend pas parler. Le paysage est magnifique et le soleil levant sur les Aiguilles Rouges habille la montagne de teintes orangées. Un petit café est le bienvenu au refuge. Nous sommes à 1900 m, nous avons déjà fait 600 m de dénivelé, il en reste 1200 ! C'est maintenant que les difficultés vont commencer.
A petits pas, en appliquant à la lettre les recommandations d'Olivier et de Didier (Dominique avait tout noté sur un petit carnet..."Olivier a dit que ....", des histoires de centre de gravité, de respiration, de pieds en travers...), nous avons avalé les difficultés sans...............difficulté. Des vrais pros (on a vérifié sur le topo, on est des vrais pros).
Non, sans rire, c'était quand même raidos et surtout très caillouteux. Tout s'arrangea à partir du col de Salenton parce que le terrain devient schisteux à cette altitude et le sentier est un vrai billard. Un billard couché sous l'Arête de la Mortine !
Arrivé au sommet sous les hourras de la foule (la foule c'est Robert, Virginie, Antoine et Adeline), nous profitons du panorama extraordinaire qu'offre ce sommet du Buet à 3098 m d'altitude. Un Mont Blanc Des Dames bien mérité... Mince, il faut redescendre !!! Je remarque une flore exceptionnelle dans ce paysage caillouteux, silènes, androsaces, saxifrages... Il faudra que je revienne botaniser par là. En ce qui concerne notre retour, c'est pas vraiment une galère mais presque; surtout sur la fin, avec cette impression qu'on y arrivera pas avant la nuit. Il est 20h00 lorsque nous arrivons aux voitures, heureusement, il y a des épisodes rigolos sur la neige, la rencontre avec les bouquetins...Mais au fond des cœurs et des pieds, cette fois c'est sûr, on est prêt. D'ailleurs, dès le Col des Montets, le Grand Blanc nous tendait les bras...
VENDREDI premier à DIMANCHE trois JUILLET :
ON A RÉUSSI L'INTÉGRALE !!!!!!!!!!!!!
A un moment, on se demandait si c'était vraiment judicieux ce titre de projet "Mes yeux dans ta nuit ", aujourd'hui je ne doute plus, c'était vraiment nos yeux dans la nuit de nos deux amis, nos yeux pour les guider dans la lumière magique du lever de soleil sur le Mont Blanc, nos yeux dans leurs pas pour les guider dans l'Enfer Blanc du Paradis. On y est arrivé, tous ensemble, solidaires et pugnaces...Cerise sur le gâteau, le hasard de la météo nous a amené à faire un choix d'itinéraire osé, monter par le Goûter et redescendre par les Trois Monts...De la folie à l'état pure mais qui donne à l'aventure le brin d'exploit qu'on n'attendait pas.
Nous nous étions donné rendez-vous sur le parking de la gare du Fayet pour prendre le train du Mont Blanc de 13h30. La première surprise de l'expédition fut de devoir descendre à Bellevue, à 1700 m d'altitude, au lieu des 2300 du Nid d'Aigle, autrement dit, un dénivelé de 1300 m pour rejoindre le refuge de Tête Rousse par la Cabane des Rognes. Le sentier est en partie reprofilé mais en partie seulement car dans les derniers lacets, la pierraille et les névés rendent l'accès plutôt difficile. Une bande d'énormes bouquetins est installé dans ces névés et nous observent l'air de dire "qu'est-ce qu'ils font là ces Monchus ? ". Mine de rien ce n'est pas si facile cette liaison et nous arrivons à Tête Rousse pour le deuxième service. (Manu et Quentin, les deux journalistes de TV8 Mont Blanc nous rejoignent peu avant l'arrivée au refuge, cette fois nous sommes vraiment au complet).
Très vite, le bruit enfle qu'il y a de mauvaises prévisions météo pour le lendemain, et les choses se confirment, 80 kilomètres heure de vent froid, lenticulaire (l'Ane) sur le sommet... Il faut prendre des décisions. Heureusement, nous avons des places réservées au Goûter, nous partirons vers 8h00 samedi et si la tendance se confirme au beau dimanche, on commence très tôt et on rentre par les Trois Monts. Ainsi soit-il !
Samedi donc, vers 8h00, nous attaquons l'Aiguille du Goûter sans pression, il est déjà tard pour franchir le Grand Couloir qui mitraille à tout va. Nous passons entre deux rafales, (nous apprendrons plus tard qu'un alpiniste n'a pas eu notre chance, touché à la tête par une pierre, il a du être hélitreuillé), avant de quitter les crampons pour trois heures d'ascension laborieuse dans le dédale de pierres de cette face en équilibre précaire. Ce qui demande d'ordinaire deux heures de grimpe assez facile s'avère extrêmement coûteux en énergie pour Thomas et Dominique qui doivent souvent chercher les prises à tâtons...
Finalement, c'était tellement épuisant de guider et d'être guidé dans ce secteur que tout le monde est bien content de se reposer au refuge du Goûter qui, au fil des heures, se remplit comme un œuf...On squatte un pieu duquel on se fait virer par son locataire légitime pour un autre qui s'avère rapidement réservé... Au fil des heures, la guerre des nerfs s'installe...Heureusement que les guides nous cèdent un moment leur place dans l'annexe pour anticiper sur la toute petite nuit qui nous attend. Après un frugal repas dans une chaleur et un brouhaha indescriptible où dominent l'italien, le slovaque et l'anglais, nous tentons de "dormir" avant le réveil prévu à 1h30.
Inutile de dire que la nuit fut effectivement courte, ponctuée de pets et de ronflements, le tout dans une atmosphère surchauffée, le réveil comme une délivrance nous jeta tous dans la nuit ! Quelle ambiance ! Après le petit déjeuner pris à la va vite, c'était à savoir lequel arriverait à quitter le premier les bouchons de l'étroit accès à l'arête de neige. Pour le coup, gérer nos affaires et celles de nos amis aveugles ne fut pas chose aisée...
2h00, ça y est, on est parti...Toutes les vallées sont illuminées, même Lyon scintille à l'ouest. Devant nous, les frontales des cordées qui nous précèdent forment un ruban de lucioles en réponse aux myriades d'étoiles... Il fait froid mais le vent n'est pas trop fort.
La pente est forte mais régulière, les 4300 m du Dôme du Goûter sont à nous puis Vallot où nous nous posons quelques instants.
L'aube pointe à l'est, les premières bosses se découpent dans le jour naissant, c'est maintenant que les choses sérieuses commencent. Dominique est interviewé "à chaud", en fait ça caille parce que le vent s'est mis à souffler fort et il ne nous lâchera plus jusqu'au sommet ! Et commence l'enchaînement des bosses... D'en bas ça paraît pas très pentu. En fait les raidillons sont très marqués et il n'y a pas beaucoup de place pour mettre les pieds. A certains endroits, le "gaz" du versant italien est tel que je ne peux que faire le vide dans ma tête et me concentrer sur les pieds de Dominique, veiller sur lui comme sur un tout petit enfant qui ferait ses premiers pas, ça a un coté ridicule parce qu'en fait l'assurance de nos aveugles est incroyable. N'empêche qu'au bout du compte, c'est épuisant psychiquement et l'arrivée au sommet, sans trop de fatigue physique, est une libération autant qu'une joie. On s'embrasse, on se congratule... C'est chouette ! Et en plus dans un temps tout à fait honorable de moins de quatre heures, comme n'importe quelle cordée un peu entraînée. Même la météo s'est donnée un temps de repos, il n'y a presque plus de vent.
C'est le moment de déployer notre oriflamme RETINA, c'est moins pour donner du sens à cette aventure que par conviction. Oui, aujourd'hui deux aveugles sont sur le toit de l'Europe, tout comme Mr Drouet il y a quelques jours. Oui, les gens différents, les handicapés, les petits, les noirs, les blancs, les gros, les pas comme tout le monde peuvent faire du sport, vivre, aimer...Ensemble, on peut tout réussir, il suffit d'y croire et de se donner les moyens d'aller jusqu'au bout de ses rêves.
En attendant de rêver, il a bien fallu repartir, et rentrer par les Trois Monts, ça mes amis, c'était aussi un sacré challenge ! Certes, il n'y a plus les pierres et la litanie infernale des " attention caillou, lève ton pied gauche, avance ta main droite de trente centimètres..." mais il y a les crevasses, le Mur de la Côte, le couloir de 60 m du Col Maudit à désescalader, le dédale des séracs du Tacul, à nouveau l'Arête de l'Aiguille... Mais bon, quand on est fort et que les Dieux veillent sur nous ! (Les Dieux ce sont deux guides d'exception, Didier et Olivier). L'aventure se termine en beauté.
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Enfin, nous l'espérons tous. ADRET fêtait ses vingt ans avec ce projet et il y a encore tant à faire pour l'intégration des personnes handicapées, l'éducation à l'environnement et tout ce que vous aurez envie de partager avec nous si vous nous rejoignez..D'ailleurs, le reliquat du budget va être utilisé pour acheter une luge nordique (fauteuil permettant à un paraplégique de pratiquer le ski de fond), à nous les belles balades !
Philippe
Retrouvez maintenant les ressentis des équipiers.
Commençons par Didier Nicard, le guide de la cordée de Thomas et Didier Desmartin.
La montagne est toujours un lieu de fortes émotions et de partage et chaque sortie de ce projet m'a apporté quelque chose en plus à chaque fois. Une communion, une leçon de vie...
Pour décrire ce qui m'est passé par la tête dimanche, quand, depuis l'arête on voyait le sommet du Mont Blanc s'approcher et que je sentais Thomas dans mes talons, la main sur mon sac, je n'ai pas trouvé de mots, ce sont mes yeux qui se sont le plus exprimés à travers de grosses larmes d'émotion.
J'ai maintenant un souhait, ne pas stopper là cette si belle aventure humaine.
Thomas Clarion a souhaité raconter toute son ascension, lisons-le...
La date est fixée depuis quelques mois déjà, et nous nous réjouissons au fur et à mesure de l'écoute des bulletins météo qui annoncent un beau premier week-end de juillet.
C'est donc vendredi midi que l'aventure commence, sur le parking du Tramway du Mont Blanc.
Derniers petits préparatifs et nous sautons dans l'emblématique wagon.
Descente à Bellevue, tout près du col de Voza car des travaux sont en cours sur la dernière portion.
Sans perdre de temps, nous nous acheminons vers le refuge de Tête Rousse .
En croisant quelques visages cernés d'alpinistes, je prends alors encore un peu plus conscience de la longueur de cette ascension.
Le passage par les Rognes nous fait emprunter un chemin escarpé dominant le versant des Houches, avant de basculer dans la vallée du glacier de Tête Rousse.
L'après midi avance et déjà j'ai l'impression d'être dans une machine à voyager dans le temps ; en évoluant dans le dernier pierrier, la fraîcheur de l'air m'évoque une fin de journée d'automne.
Accroché au sac à dos de Didier Desmartin je passe de blocs en blocs en suivant ses instructions pertinentes. Cette description du terrain qui m'est donné à tous les instants me permet de marcher à l'économie et à prendre confiance dans mes pieds.
En passant la porte du Refuge, je me dis que déjà une étape est franchie.
Autour d'une chaleureuse tablé nous envisageons la suite du programme.
Le dernier bulletin météo n'est pas aussi bon que prévu, et annonce un fort vent en altitude.
Nous avons des places pour le refuge du Goûter pour le lendemain. Nous prenons donc la décision de retarder notre ascension vers le Géant Blanc.
C'est l'occasion de bien recharger les batteries en dormant jusqu'à 7 h !
Crampons aux pieds, nous débutons l'ascension de l'aiguille du Goûter, petit sprint dans le couloir lors de sa traversée !
Le terrain est sec et nous permet de déchausser nos "crabes ".
Je suis toujours Didier qui me précède dans ces passages d'escalade où ses consignes sont précieuses !
Arrivant au refuge, nous apercevons le "lenticulaire" étranglant le sommet. C'est le signe qu'il y a du vent, et les cordées frigorifiées que nous avons eu l'occasion de croiser sont là pour nous le confirmer.
Ce ne sera donc pas pour aujourd'hui....
L'après midi passe vite : sieste et concentration sont de mise.
Je me réjouis en apprenant que la météo sera plus clémente pour la journée de Dimanche et surtout que nous pouvons envisager de redescendre par les trois Monts et ainsi faire une traversée.
Ceci me rassure car pour nous autres non voyants, il est plus difficile de descendre que de monter.
La confiance remonte d'autant plus que l'acclimatation effectuée me fait oublier tout mal de l'altitude.
Le souper se fait dans une salle chauffée par la chaleur humaine et la promiscuité, et la courte nuit se passe de la même façon !
Branle bas de combat dès 1h30 du matin, tout le monde se presse pour déjeuner et s'emparer de son matériel.
Nous retrouvons nos deux journalistes de TV8MB qui malgré l'absence de réservation dans les refuges se sont joint à l'aventure et ont donc dormi sous l'une des tables du réfectoire.
Bravo les gars !
Dans la confusion du départ, tout le monde se cherche et s'interpelle, je me dis qu'à ce moment il n'y a bien que Dominique et moi qui ne sommes pas perturbés par l'absence de lumière.
Notre cordé s'élance sur le Dôme du Goûter d'un bon pas, Didier Nicard ouvrant la route, et Didier Desmartin placé entre nous deux en téléphérique pouvant ainsi ajuster aisément la distance nous séparant.
La fraîcheur nocturne m'enveloppe ainsi que l'émotion en pensant à cet instant à ma famille qui m'a fait découvrir mes premiers souvenirs de montagne.
Déjà Vallot, nous entrons dans cet abri de fortune pour attendre les deux autres cordées à l'abri du vent. Une barre de céréale, une petite couche en plus et c'est reparti.
Je suis toujours aussi rassuré de me sentir en pleine possession de mes moyens, je sais qu'il va falloir continuer de se concentrer sur chacun de ses pas sur l'Arête des Bosses !
Nous serrons l'encordement, Didier repasse derrière moi : " piolet main gauche, un pas à droite, les pointes vers la gauche " sont les indications qui me portent.
Les premières lueurs apparaissent, on me le dit et cela me réchauffe le coeur, car pour le moment le vent nous souffle dans le visage.
Les derniers passages techniques dépassés, l'émotion nous gagne, boule au ventre, larmes aux yeux en apprenant qu'il ne nous reste plus que quelques pas avant de se retrouver sur le toit de l'Europe.
Embrassades et félicitations à tous les membres du groupe !
J'ai même le droit à une petite interview qui me laisse exprimer toute ma reconnaissance à ce projet mené par Philippe Munier.
Je tente d'expliquer que j'ai grandi en face de ce sommet alors que j'étais voyant, et que aujourd'hui l'immense travail des bénévoles des associations qui soutiennent le projet me permet de vivre ce sommet par le toucher et les sensations.
Comme le dit Dominique, le handicap nous oblige à être accompagné, il peut à première vue s'agir d'une contrainte, mais au final, des liens humains forts se tissent entre tous les participants, et c'est ça qui reste.
Avec Dominique, nous déplions la banderole de RETINA FRANCE qui soutient la recherche en ophtalmologie.
Cap vers Chamonix !
Nous nous engageons dans les pentes de neige du mur de la Côte avant de gagner la rimaye du mont Maudit.
Un joli Tohu Bohu où les cordées s'emmêlent les unes les autres !
Encore quelques pas à la descente pour rejoindre un endroit sûr qui me permet d'ôter quelques épaisseurs, car le soleil inonde les glaciers qui nous environnent.
Petits pas légers sur les ponts de neige, passages sous les séracs et nous voilà au col du Midi.
Dernière pose avant de remonter l'étroite arrête de l'aiguille du Midi !
Pas le droit à l'erreur, elle me semble encore plus fine que il y a un mois, alors que nous faisions nos premiers pas en crampons lors de la traversée de la Vallée Blanche.
Nous nous retrouvons tous sur la terrasse du téléphérique afin de contempler le panorama et de nous faire décrire tout le trajet parcouru dans la journée!
Nous bouclons la boucle en regagnant par le train la gare de St Gervais d'où nous sommes partis depuis une éternité me semble t-il !
Après avoir ressenti l'automne lors de mon arrivée à Tête Rousse, , j'ai connu l'hiver au sommet, puis le printemps sur le col du midi !
Retour à l'été en enfilant les sandalettes restées dans le coffre !
Que de magnifiques souvenirs avons nous créé ensemble.
Je crois que le destin était vraiment avec nous ce week-end magique car à l'heure où j'écris ces quelques lignes, le fameux lenticulaire recouvre à nouveau le massif !
Voici ce que ressent Florent Boivin, membre de la cordée encadrée par Robert Darbouret
Je me vois encore arriver sur cette arête de l’Aiguille du Midi où le vide que l’on ose regarder sur nos côtés nous fait trembler les jambes et nous oblige à nous faire une bulle de sorte à ne pas défaillir et à seulement se concentrer sur cette corde qui doit rester tendue et sur les pieds de la personne qui nous précède : ne pas tomber !!!
J’entends encore Philippe nous dire à l’arrivée: « ce projet, c’était de la folie ! ». Et il est vrai qu’il fallait une dose d’insouciance pour voir cet étendard flotter sur le toit de l’Europe : « RETINA ».
Repousser les limites. Non pas celles du sport narcissique mais les véritables valeurs qu’il peut apporter : intégration. Intégration des gamins turbulents mais aussi de la notion de handicap. Nous l’avons fait ! Nous avons pu par la volonté et l’organisation de certains emmener toute notre équipe au sommet du Mont Blanc et commencer à sensibiliser l’opinion publique sur le problème rétinien dont il est question.
Derrière cet aspect, comprenons ce qui s’est passé : nous avons eu l’esprit des pionniers : essayer ce qui ne l’avait pas encore été (ou presque) et montrer que malgré les difficultés d’un groupe de personnes désavantagées, il est possible par la volonté de fer de personnes non-voyantes et par l’aide de valides de réaliser ce que les sceptiques laissent d’avance tomber : Dominique et Thomas ont pu gravir le sommet du Mont Blanc.
L’émotion a été grande pour moi quand j’ai vu déployer ce signal visuel. Je comprends maintenant le sens du mot « symbole ». Nous aurions pu simplement aller place Belcourt et faire de même. Cela serait sans doute passé inaperçu. Il fallait bel et bien quelque chose de fort. L’image est ainsi forte et les larmes ne se commandent pas :ainsi en est-il de ma définition du mot symbole :une représentation qui vous émeut.
Ces moments passés ont été fort : non seulement la sensibilisation faite au sommet mais aussi l’arrivé finale : tout s’est bien passé ! Nous sommes sains et saufs !
Attendons maintenant de voir les retombées de cet évènement. J’aimerais que notre course puisse faire connaître les associations RETINA, ADRET et aussi faire progresser l’image du handicap dans la société française. Reconnaissons aux personnes handicapées le mérite qui leur revient : une véritable performance au même titre que les personnes valides avec des moyens différents.
J’espère revivre pareille expérience. Ce n’est qu’un début !
A suivre
On enchaîne avec Robert Darbouret, alpiniste bénévole du CAF d'Annemasse qui a encadré les deux accompagnants. En juin 2010, il avait déjà largement contribué à la réussite du projet Mont Blanc des élèves d'un lycée d'Annemasse.
Le projet "Mes Yeux dans ta nuit" a été très bien organisé. Avec un peu de recul, il était très ambitieux, et même un peu fou. Mais grâce au courage, à la volonté, à la détermination dont ont fait preuve à chaque sortie Dominique et Thomas, il a pu être réalisé et même dépassé. La traversée des Trois Monts Blancs est la cerise sur le gâteau après cette montée sur l'Arête des Bosses avec le vent et le froid. Toutes ces courses partagées ensemble ont été le moment de rencontres formidables et d'émotions partagées. Merci à la sympathie de chacun, au professionnalisme de nos guides. Merci à Dominique et Thomas de nous avoir fait confiance. Toutes ces journées partagées resteront des très grands et très forts souvenirs de ma vie de montagnard. C'est un grand plaisir que j'ai ressenti lors de ma participation. Je suis fier et heureux de m'y être investi, merci à tous, Robert.
C'est au tour de Didier Desmartin de s'y coller. Didier, professeur EPS, était le guide de Thomas, il est aussi un alpiniste de grande qualité.
Après quelques jours de repos, je me dis que l'on peut être fiers de nous, fiers d'avoir donné le meilleur de nous même pour cette belle aventure montagne et humaine. Merci à Florent pour les photos, à Manu et à Quentin pour leur reportage sur TV8 Mont Blanc.
Je retiendrai les pieds de Thomas en suspens au dessus de la trace étroite de l'Arête du Goûter, la belle émotion collective au sommet et les moments de vie dans les refuges...
A ton tour Dominique !
Ce qui me restera : le souvenir d'une équipe sympa, le plaisir de faire quelque chose de peu banal, sur des sentiers encore moins banals. Je pense à la traversée des groupes de bouquetins, les vires étroites, l'escalade dans les rochers du Goûter, houille houille houille ! Les genoux qui cognent dans les rochers...
L'ascension du Dôme du Goûter était relativement simple jusqu'à Vallot, le froid envahissant sur l'Arête des Bosses...Ce froid ! L'ennemi de l'effort... Je crois que je n'ai jamais eu aussi froid de ma vie ! Et ce vent tourbillonnant qui déstabilise et fait perdre tout repère, à cause de ça, les derniers mètres de dénivelé n'ont pas été très faciles. Enfin l'Arête finale ou le vent s'était calmé, et le fait de ne pas réaliser tout de suite, puis la joie d'être sur le toit de l'Europe, j'y suis !!!
A peine le temps de se réjouir, le froid impose de redescendre... Quelle descente ! Avec ces passages ou on ne s'arrête pas à cause des risques de chute de pierres ou de séracs. Elle fut longue, fatigante, surtout à cause du fait que je ne savais plus où poser mes pieds, retenu par Olivier et Philippe, je ressentais l'immensité des paysages. Il y eut encore l'initiation d'une descente en rappel dans le couloir du Maudit et le franchissement de sa rimaye et enfin la remontée à l'Aiguille du Midi... Finalement je crois que je suis plus à l'aise en montée qu'en descente.
Au final, j'ai trouvé cette aventure extraordinaire et je ne dis pas non pour en refaire une autre du même genre mais pas tout de suite, je dois d'abord soigner mon rhume du Mont Blanc...
En tant qu'organisateur, il me revient le devoir de clore momentanément ce récit. De tous ces mots, je retiendrai partage, amitié, montagne, professionnalisme...Je tiens à remercier Didier Nicard et Olivier Daligault, ces deux guides du bureau de Sallanches, qui ont mouillé la chemise et dont j'ai apprécié la rigueur. J'embrasse mon collègue et ami Didier Desmartin que j'ai plongé tout nu dans ce bain d'émotions, je crois que cette expérience nouvelle le marquera. Merci à toi Robert, qui a accepté de travailler dans l'ombre en assurant avec talent la sécurité d’Adeline et de Florent, tu as été pour nous tous un père et un ami. Je salue Bernard Fuchs pour son soutien et je sais combien, en tant qu’alpiniste chevronné, il a du ronger son frein et vibrer avec nous. En tant que représentant des instances régionale et départementale du CAF, Bernard a été d'un appui indispensable pour mener à bien ce projet. Je remercie l'APICIL, les communes d'Habère Poche et de Bonneville, le Conseil Général de la Haute Savoie, les instances locales et régionales du CAF.
Et puis surtout, merci à vous deux, Thomas et Dominique, de m'avoir fait confiance.
Arvi pa, Philippe MUNIER le 9 juillet 2011.
Voici le témoignage de Katia Waltener qui s'est appuyée sur notre aventure pour vivre la sienne .
Bonjour,
Voilà, je voulais partager avec vous ce grand bonheur...
C'est grâce à vous que j'ai trouvé le guide!!
Le 26 janvier 2007, Jai été victime d’une tentative d’assassinat. Un homme a tenté de me tuer en me tirant une balle de 9mm à bout portant en pleine tête au niveau de la tempe gauche.
Miraculeusement, je suis en vie mais aveugle. Depuis, j’essaye de me reconstruire un monde tout en couleurs avec l’aide de ma famille et de mes amis. Chaque jour est un nouveau combat vers l’autonomie et vers de nouveaux objectifs. J’ai fait une rééducation qui m’a permis de réapprendre ces petits gestes du quotidien. Une véritable symphonie des sens où le braille glisse sous mes doigts tels des notes de musique, où je surfe sur la toile grâce au chant de la synthèse vocale et où je me déplace à l’aide de la canne blanche qui rythme mes pas.…Depuis un an, les aboiements de mon chien guide sont venus compléter ce parcours dans le noir.…Je continue à mettre ma vie en musique en me lançant des défis fous pour atteindre la frontière de mes rêves. Assoiffée de sensations fortes, je pratique des sports tels que l’escalade, via ferrate et acrobranche.…Depuis mon accident, je reste persuadée que tout est possible dans la vie même dans le noir. Il y a un an, dans mon cerveau en ébullition, c’était la saga des neurones car je m’étais fixé un objectif fou, celui d’atteindre le toit de l’Europe, à savoir le Mont blanc et ce malgré le handicap.
Grâce à internet et le récit de votre aventure avec Thomas et Dominique, j’ai trouvé en suivant vos conseils un guide prêt à tenter l’impossible avec l’aide de mon compagnon. Une telle entreprise se mérite et nous avons donc du nous entrainer dur pour que physiquement, le corps soit prêt à autant d’efforts. De plus, nous avons souvent rencontrés le guide, Jean Gadiolet, pour apprendre à se connaitre et à travailler ensemble, pour se familiariser avec la technique du cramponnage et du piolet ainsi que de la marche en cordée ! Et puis, l’expression résume bien le sentiment, il faut avoir « une confiance aveugle » comme dit Dominique dans votre film car je remets ma vie entre leurs mains…
Nous sommes partis dans les Hautes Alpes du sud pour nous’acclimater. Dormir à 1850 mètres, faire des randos avec de longs dénivelés pour habituer le corps à ces hauteurs. Chemin faisant, nous sommes arrivés à Chamonix où trône le Géant Blanc dans toute sa majesté. C’est d’ailleurs par la Voie Royale que nous allons le gravir.
Le physique y est, le mental est à son top et le cœur remplis de courage…reste plus qu’à croiser les doigts pour que les dieux météo soient avec nous. Et oui, en montagne, la météo ne pardonne pas et il faut l’écouter car elle a toujours raison de nous !
Le 31 aout, nous voilà partis pour la grande aventure. Départ à 7h30 avec le train du mont blanc pour atteindre le Mont-Lachat niché à 2115 mètres afin d’entamer notre ascension. Un long chemin nous attend pour atteindre le refuge du Goûter logé à 3835 mètres où chaque pas est un effort et où les mains sont de rigueur car il est très haut perché et il nous faudra escalader pour passer une brève nuit tant méritée.
Pas évident de se frayer un chemin dans le noir même si les yeux de mes compagnons me donnent le plus d’infos possible. Lever à 1h30 pour commencer l’ascension du sommet. Crampons au pied, piolet à la main et relié à une corde, nous progressons lentement sur des pentes très raides.…Le danger est omniprésent car le vide règne dans cet univers glacial.La concentration est le maître mot ! La volonté me donne presque des ailes mais c’est dur et il se mérite ce sommet.…La glace et la neige crissent sous nos pas et le bruit de la respiration lente et saccadée est un moteur pour me faire avancer. Nous atteignons l’arrête sommitale, dernier effort avant l’objectif ultime. Mais il ne faut surtout pas relâcher la pression car il y a peu de place pour les deux pieds et 2000 mètres de vide de part et d’autre. Il faut gérer le stress et l’angoisse. A 30 mètres du toit de l’Europe, le guide qui me devançait me dit : Katia, nous sommes à 5 min du but.…L’émotion m’envahit et j’entame un concert de larmes de joies et de bonheur. Tels de grands chefs d’orchestre, le guide et mon compagnon m’ont amenés sur le toit de l’Europe.…Qu’il est merveilleux de dominer le monde et d’être plus près du ciel et des étoiles waaaaaw ! La neige scintille et malgré l’écran noir devant mes yeux, j’ai l’impression de voir le sommet s’accrocher au ciel bleu et d’apercevoir le grand manteau blanc qui recouvre cette montagne mythique.…Ensemble, nous avons composé la mélodie du bonheur…et c’est maintenant en cadence que nous allons devoir tout redescendre.…Il faut rester très vigilant car la descente est très périlleuse et le risque est grand.…C’est à 16h30 que nous retrouverons le train pour nous reconduire vers la civilisation.…Quelle aventure humaine et quelle victoire sur le handicap.…
Merci à tous ceux qui ont cru en nous.
Katia Waltener…
Bonjour,
Voilà, je voulais partager avec vous ce grand bonheur...
C'est grâce à vous que j'ai trouvé le guide!!
Le 26 janvier 2007, Jai été victime d’une tentative d’assassinat. Un homme a tenté de me tuer en me tirant une balle de 9mm à bout portant en pleine tête au niveau de la tempe gauche.
Miraculeusement, je suis en vie mais aveugle. Depuis, j’essaye de me reconstruire un monde tout en couleurs avec l’aide de ma famille et de mes amis. Chaque jour est un nouveau combat vers l’autonomie et vers de nouveaux objectifs. J’ai fait une rééducation qui m’a permis de réapprendre ces petits gestes du quotidien. Une véritable symphonie des sens où le braille glisse sous mes doigts tels des notes de musique, où je surfe sur la toile grâce au chant de la synthèse vocale et où je me déplace à l’aide de la canne blanche qui rythme mes pas.…Depuis un an, les aboiements de mon chien guide sont venus compléter ce parcours dans le noir.…Je continue à mettre ma vie en musique en me lançant des défis fous pour atteindre la frontière de mes rêves. Assoiffée de sensations fortes, je pratique des sports tels que l’escalade, via ferrate et acrobranche.…Depuis mon accident, je reste persuadée que tout est possible dans la vie même dans le noir. Il y a un an, dans mon cerveau en ébullition, c’était la saga des neurones car je m’étais fixé un objectif fou, celui d’atteindre le toit de l’Europe, à savoir le Mont blanc et ce malgré le handicap.
Grâce à internet et le récit de votre aventure avec Thomas et Dominique, j’ai trouvé en suivant vos conseils un guide prêt à tenter l’impossible avec l’aide de mon compagnon. Une telle entreprise se mérite et nous avons donc du nous entrainer dur pour que physiquement, le corps soit prêt à autant d’efforts. De plus, nous avons souvent rencontrés le guide, Jean Gadiolet, pour apprendre à se connaitre et à travailler ensemble, pour se familiariser avec la technique du cramponnage et du piolet ainsi que de la marche en cordée ! Et puis, l’expression résume bien le sentiment, il faut avoir « une confiance aveugle » comme dit Dominique dans votre film car je remets ma vie entre leurs mains…
Nous sommes partis dans les Hautes Alpes du sud pour nous’acclimater. Dormir à 1850 mètres, faire des randos avec de longs dénivelés pour habituer le corps à ces hauteurs. Chemin faisant, nous sommes arrivés à Chamonix où trône le Géant Blanc dans toute sa majesté. C’est d’ailleurs par la Voie Royale que nous allons le gravir.
Le physique y est, le mental est à son top et le cœur remplis de courage…reste plus qu’à croiser les doigts pour que les dieux météo soient avec nous. Et oui, en montagne, la météo ne pardonne pas et il faut l’écouter car elle a toujours raison de nous !
Le 31 aout, nous voilà partis pour la grande aventure. Départ à 7h30 avec le train du mont blanc pour atteindre le Mont-Lachat niché à 2115 mètres afin d’entamer notre ascension. Un long chemin nous attend pour atteindre le refuge du Goûter logé à 3835 mètres où chaque pas est un effort et où les mains sont de rigueur car il est très haut perché et il nous faudra escalader pour passer une brève nuit tant méritée.
Pas évident de se frayer un chemin dans le noir même si les yeux de mes compagnons me donnent le plus d’infos possible. Lever à 1h30 pour commencer l’ascension du sommet. Crampons au pied, piolet à la main et relié à une corde, nous progressons lentement sur des pentes très raides.…Le danger est omniprésent car le vide règne dans cet univers glacial.La concentration est le maître mot ! La volonté me donne presque des ailes mais c’est dur et il se mérite ce sommet.…La glace et la neige crissent sous nos pas et le bruit de la respiration lente et saccadée est un moteur pour me faire avancer. Nous atteignons l’arrête sommitale, dernier effort avant l’objectif ultime. Mais il ne faut surtout pas relâcher la pression car il y a peu de place pour les deux pieds et 2000 mètres de vide de part et d’autre. Il faut gérer le stress et l’angoisse. A 30 mètres du toit de l’Europe, le guide qui me devançait me dit : Katia, nous sommes à 5 min du but.…L’émotion m’envahit et j’entame un concert de larmes de joies et de bonheur. Tels de grands chefs d’orchestre, le guide et mon compagnon m’ont amenés sur le toit de l’Europe.…Qu’il est merveilleux de dominer le monde et d’être plus près du ciel et des étoiles waaaaaw ! La neige scintille et malgré l’écran noir devant mes yeux, j’ai l’impression de voir le sommet s’accrocher au ciel bleu et d’apercevoir le grand manteau blanc qui recouvre cette montagne mythique.…Ensemble, nous avons composé la mélodie du bonheur…et c’est maintenant en cadence que nous allons devoir tout redescendre.…Il faut rester très vigilant car la descente est très périlleuse et le risque est grand.…C’est à 16h30 que nous retrouverons le train pour nous reconduire vers la civilisation.…Quelle aventure humaine et quelle victoire sur le handicap.…
Merci à tous ceux qui ont cru en nous.
Katia Waltener…